Le caractère massif de la fraude fiscale mondiale révélée par les Panama Papers et l’action du Consortium international pour le journalisme d’investigation ont mis en exergue, au printemps dernier, un scandale planétaire. À la suite de la mobilisation d’un certain nombre de députés européens, le Parlement de l’Union européenne (UE) a mis en place une commission d’enquête « chargée d’examiner les allégations d’infraction et de mauvaise administration dans l’application du droit de l’Union en matière de blanchiment de capitaux, d’évasion fiscale et de fraude fiscale ». Son mandat est de douze mois.
La commission d’enquête parlementaire européenne, composée de 65 membres, s’est réunie une première fois le 12 juillet dernier. C’est un acquis non négligeable qui constitue un progrès indéniable par rapport à l’affaire Lux Leaks, qui n’avait donné lieu qu’à la création d’une simple « commission spéciale », dotée de beau-coup moins de pouvoirs qu’une commission d’en-quête. Il était politiquement impossible de ne pas don-ner cette suite-là après les révélations gigantesques des Panama Papers de début avril. Ces révélations ont d’ailleurs occasionné les démissions du Premier ministre d’Islande et d’un membre du gouvernement Rajoy en Espagne et qui touchent plus ou moins directement de nombreux dirigeants internationaux.
Cette commission d’enquête doit donc se donner l’ambition d’aller jusqu’au bout de ses investigations, sans réserves ni compromissions. L’évasion fiscale coûte en effet chaque année 1 000 milliards d’euros aux États de l’Union européenne, soit six fois son budget annuel. Cela montre aussi que tous les pays de l’UE sont touchés. À l’heure où l’austérité s’applique sur tout le continent avec les conséquences que l’on peut constater de Lisbonne à Athènes en passant par Dublin et Paris. Les enjeux économiques, budgétaires et politiques sont considérables pour la commission d’enquête. Elle doit donc jouer pleinement son rôle au nom de tous les citoyens d’Europe électeurs des députés du Parlement européen.
Pourtant déjà le Conseil européen, qui réunit les dirigeants des pays membres de l’UE, afin de définir les priorités politiques de l’UE, et qui représente le plus haut niveau de coopération politique entre les pays de l’UE, met des bâtons dans les roues de la commission d’enquête.
Un document interne confidentiel de son service juridique cherche tous les moyens pour délégitimer le travail d’enquête et justifier les futurs refus de répondre aux questions et demandes de transmissions d’informations. Compte-tenu de l’ampleur de la fraude fiscale et de la probable participation de certaines administrations fiscales européennes, on en comprend les motivations profondes. Les travaux de la commission d’enquête du Parlement européen vont « gêner »…
La création de cette commission d’enquête n’est ce-pendant pas une réponse suffisante face à l’ampleur des sommes détournées des dépenses publiques destinées au plus grand nombre.
Elle est pourtant un signe d’une saine réaction démocratique face à une opinion publique de moins en moins tolérante à la fraude et à l’évasion fiscale. Les avancées démocratiques en matière de transparence et d’équité fiscale ne pourront s’obtenir que par un combat permanent s’appuyant sur l’intervention populaire, dans la cité, l’entreprise, et en assurant aussi la protection des lanceurs d’alerte.
La fiscalité, vecteur puissant de la redistribution des richesses se doit d’amener à une contribution plus juste aux charges communes de chacun et chacun à hauteur de ses facultés contributives. La fiscalité est un ou-til politique majeur qui doit être au service des intérêts du plus grand nombre et non à celui d’une minorité dominante, tant dans l’élabora-tion des réglementations (lois de finance, accord d’échanges d’information entre pays
membres règlements européens) que dans son appli-cation (organisation des administrations fiscales nationales, moyens humains matériels et juridiques).
La lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale ne pourra se faire qu’au prix d’une réelle volonté poli-tique des gouvernements. Ceux-ci ne pourront plus se contenter de simples déclarations d’intentions mais devront soumettre les intérêts financiers et écono-miques européens et internationaux aux besoins des populations. La finance est toujours notre ennemi !
C’est pourquoi la CGT est favorable au reporting (communication du chiffre d’affaires, du bénéfice, du nombre de salariés des succursales dans des pays à fiscalité privilégiée) public, et pas seulement aux services fiscaux. Seule la connaissance de ces informations par les journalistes, ONG et citoyens est à même de lutter contre ces pratiques scandaleuses, mais bien souvent encore légales. Officiellement, il ne s’agit que d’optimisation fiscale, voire d’évasion fiscale, pas de fraude, alors même que le but recherché est bien la non-contribution à l’impôt du pays dans lequel s’exerce véritable-ment l’activité professionnelle.
C’est pourquoi également nous nous félicitons de la décision de justice obligeant Apple à reverser à l’Irlande un milliard d’euros, somme correspondant aux impôts éludés dans ce pays, même si c’était avec sa complicité, puis qu’il s’agissait de dumping fiscal.